Neuf idées pour combler l'écart entre l'industrie et le monde universitaire

  • Publié le mercredi 03 janvier 2007
  • Rédigé par Marie Aude HEMARD 
  • Europe et International

Les membres du service de nouvelles Science l Business ont lancé un manifeste en neuf points dédié à l'innovation pour identifier les lacunes des efforts menés par l'Europe dans le domaine de l'innovation. Ce manifeste regroupe notamment des recommandations sur les bureaux de transfert de la technologie, le capital d'amorçage, les incitations fiscales et les brevets.

Dans son introduction au manifeste, Richard Hudson, rédacteur enchef et PDG de Science l Business, s'interroge sur la capacité dela prochaine «série de subventions technologiques» - le septième programme-cadre (7e PC), avec son budget accru, à combler l'écart entre le laboratoire et le marché.

«L'équipe de Science l Business [...] estime qu'il est temps que les politiciens arrêtent de faire grand cas de l'écart de financement entre les États-Unis, l'Europe ou la Chine, pour se concentrer sur un type d'écart différent, à savoir celui qui existe entre l'industrie et le monde universitaire. Cet écart correspond par exemple aux brevets qui restent inexploités, aux rapports de recherche qui sont ignorés ou aux chercheurs qui s'envont travailler à San Francisco ou Singapour pour des laboratoires plus fortunés», écrit M. Hudson.

Le manifeste contraste avec le récent plan d'action en 10 points de la Commission visant la mise en oeuvre «d'une stratégiepolitique ambitieuse en matière d'innovation pour la Union européenne», en cela que son approche est davantage orientée surles marchés libéraux. Cet aspect, même s'il est sans doute denature à susciter des controverses dans certains milieux, devrait aider l'équipe de Science l Business à «étendre le débatau-delà du noyau habituel de technocrates - pour éveiller des commentaires plus larges et un mode de réflexion réellementnouveau sur les problèmes de l'Europe».

Le document est divisé en quatre chapitres : le problème des universités, la levée de fonds, la protection des idées nouvelles et les besoins de l'industrie.

Le problème des universités européennes, d'après Science l Business, est l'argent. Les universitaires continuent de générer des résultats impressionnants, mais leurs découvertes sontignorées, sous-financées ou exploitées ailleurs. Pour illustrer ce point, le manifeste comprend un tableau sur les revenus dégagés par les universités à partir de l'industrie. Ainsi, l'université américaine de Columbia est celle dont les revenus sont le plus élevés, avec 115,4 millions d'euros. En revanche, l'institut Pasteur (France), qui affiche les revenus les plus élevés d'Europe, reçoit seulement 32,6 millions d'euros, et on constate un écart considérable entre cet institut et le numéro deux européen, à savoir l'université d'Édimbourg, dont les revenus sont seulement de 4,5 millions d'euros.

La première idée est que les financiers devraient être darwiniens: «Il est contre-productif de traiter les subventions allouées par les pouvoirs publics à la recherche comme un instrument de développement régional ou d'égalité sociale», affirment les auteurs du manifeste, ajoutant ensuite que «si l'Europe veut pouvoir consolider son système de recherche universitaire, ses politiciens doivent prendre des décisions quine manqueront pas de déplaire».

La deuxième idée concerne une réforme des bureaux de transfert de la technologie (BTT). Bien qu'en Europe, les effectifs de ces bureaux tendent à être plus importants, ils récoltent 5 % des revenus de leurs homologues américains. «Les administrateurs d'universités, et leurs maîtres politiques, ne devraient fixer qu'un seul objectif au BTT: dégager de l'argent -autant d'argent que possible, et aussi vite que possible, dans le seul intérêt de l'université. Laissons au directeur du BTT lesoin de choisir les moyens à employer. Puis congédions-le si lesrésultats promis ne se concrétisent pas, ou offrons-lui desprimes s'il réussit [...]. Il est normal que le reste de l'université ait des objectifs d'ordre social. Mais le BTT doit avoir un simple objectif financier.»

Pour pouvoir lever des capitaux, les fonds publics pourraient servir à encourager le capital d'amorçage,suggère l'équipe de Science l Business. «Les subventions d'État, si elles sont utilisées judicieusement, peuvent enhardir les investisseurs privés normalement peu enclins à prendre desrisques», peut-on lire dans le manifeste.

Une autre recommandation concerne la fiscalisation. Le contexte actuel «présente de nombreuses lacunes liées à une gestion au cas par cas, en fonction des intérêts spécifiques et de la situation dans chaque pays», et «encourage des habitudes d'investissement peucourantes». Pour cette raison, les riches d'Europe sont peu enclins à investir en Europe, et surtout dans la technologie, qui est déjà associée à un risque élevé.

Parmi les autres idées citées dans le manifeste, citons la proposition visant à approfondir les marchés des titres pour les jeunes entreprises, et celle qui consiste à rendre la protectionde la propriété intellectuelle meilleur marché et plus simple. Les représentants de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle précisent que la part des brevets internationaux octroyés en Europe est passée de 35 % à 29 % au cours des cinq dernières années, ce qui se comprend facilement lorsque l'on sait qu'en Europe, le dépôt et la gestion d'un brevet sur 20 ans coûte généralement 200 000 euros. Aux États-Unis, ce coût est de 10 000 euros.

L'harmonisation du système de brevets européen a été tentée àplusieurs reprises ces trente dernières années, et est à nouveauappuyée par Charlie McCreevy, commissaire européen en charge dumarché intérieur. «La solution est peut-être toute simple»,suggèrent les auteurs du manifeste. «Il s'agit de prendre depetites mesures, en traitant un problème à la fois»,poursuivent-ils. Les États membres de l'UE pourraient commencerpar avaliser le protocole de Londres, que l'équipe de Science lBusiness qualifie d'«exercice bureaucratique relativement modestevisant à réduire le nombre de langues dans lesquelles les brevetsdoivent être déposés».

Le dernier chapitre du manifeste, consacré aux besoins de l'industrie, commence par des chiffres inquiétants pour les Européens: «Dans l'UE, 54 % de l'ensemble des dépenses deR&D [recherche et développement] proviennent du secteur privé. Aux États-Unis, cette part s'élève aux deux tiers - et le budget global est plus conséquent. Pire, une part importante dece que les entreprises européennes dépensent s'envole vers des laboratoires situés à Boston ou Palo Alto, et non à Bâle ouParis. Le déficit commercial de l'Europe en matière de R&D -à savoir la somme combien plus importante que les entreprises de l'UE allouent à des laboratoires américains par rapport à la somme allouée par les États-Unis à des laboratoires européens -a été multiplié par cinq entre 1997 et 2002, passant ainsi à 2 milliards d'euros.»

Ces problèmes sont plus profonds que tous ceux dont il a été question ci-dessus, d'après Science l Business: «La solution: un changement radical de la manière dont l'Europe dirige son économie, encourage les entrepreneurs et récompense ses investisseurs, qu'il s'agisse de sociétés ou d'individus.» Les auteurs du manifeste proposent deux solutions: se doter d'une main-d'oeuvre mieux formée et plus flexible, et éliminer les obstacles qui affectent l'attractivité de l'Europe.

L'Europe se retrouve pénalisée lorsque des entreprises comme BASF et Novartis déplacent leur financement de la recherche en dehorsdu continent. La raison, explique l'équipe de Science l Business,est que l'économie européenne, avec ses coûts élevés, le manque de souplesse de ses marchés et la lenteur de sa croissance,est à la traîne par rapport au reste du monde depuis 35 ans. Ce n'est que lorsque l'Europe s'attellera à la résolution des inflexibilités dans des domaines tels que les coûts d'embauche,les difficultés qui surviennent lorsque l'on veut licencier quelqu'un ou lui faire changer de poste, ou encore la difficulté à traverser les frontières, qu'elle incitera les investisseurs à s'intéresser à nouveau à elle, mettent en garde les auteurs du manifeste.

Source : CORDIS Focus n° 272

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