L'intelligence économique : un enjeu national

  • Publié le vendredi 18 mars 2005
  • Rédigé par FEKRANE Catherine  
  • Création et Développement de l'innovation

« Nous manquons cruellement d'outils informatiques d'origine française ou européenne.»

Protection des innovations stratégiques, mise au clair des métiers de l'intelligence économique (IE), veille sur les dossiers économiques sensibles... Alain Juillet, le monsieur IE du gouvernement, est sur tous les fronts.

Un an après votre nomination par le Premier ministre, dans quel état d'esprit êtes-vous ?

Tout d'abord, je suis frappé par le fait que le concept d'intelligence économique (IE), inconnu il y a quelques mois, prend corps. Le phénomène est accentué par la pression des jeunes générations, qui baignent dans l'informatique depuis l'enfance, et trouvent normales la fluidité et la rapidité d'action rendues possibles par internet. Ce qui n'est pas le cas chez les plus âgés. Même quand ils ont pris l'habitude d'utiliser les technologies de l'information.

Quels sont les freins à la mise en place de politiques concrètes en matière d'intelligence économique ?

Je distinguerai la situation des administrations et celle des entreprises. Dans la fonction publique, les dirigeants sont en général convaincus que l'IE peut être utile. C'est beaucoup moins vrai à l'échelon inférieur, où la détention d'informations est avant tout une question de pouvoir. Ils croient donc moins aux vertus de l'échange et du travail en réseau, des pratiques qui, pour tout dire, se révèlent bien souvent contraires à leur état d'esprit.

Dans les entreprises, on trouve plutôt deux camps : les pour et les contre. Quel que soit le niveau hiérarchique. Des présidents de grands groupes comme Jean-François Dehecq, de Sanofi-Synthelabo, ou Anne Lauvergeon, d'Areva, sont persuadés du caractère hautement stratégique de l'IE, c'est assurément moins le cas, par exemple, d'un dirigeant d'entreprise comme Ernest-Antoine Seillière.

Quelle est alors leur vision de l'IE ?

Nombre de managers ne rejettent pas le concept, mais voient d'un mauvais oeil l'intervention de l'Etat dans ce domaine. Ils se considèrent suffisamment grands pour s'en occuper seuls. Cette façon de faire peut fonctionner dans les cinq cents sociétés françaises disposant de la taille critique pour cela, mais laisse de côté les quelque 2,3 millions de PME et PMI. Or, dans les secteurs technologiques notamment, ces structures plus petites peuvent engendrer des géants, voire de futurs leaders mondiaux.

Comment comptez-vous leur apporter votre aide ?

Nous avons identifié dans notre pays quinze secteurs stratégiques, classés confidentiels. Les autorités françaises ont décidé d'y favoriser les efforts en IE des acteurs de l'économie afin de les aider à se battre à armes égales sur le marché mondial. A l'instar de ce que fait, par exemple, le gouvernement des Etats-Unis. Qui défend une pratique libérale en théorie, mais sait parfaitement, dans la pratique, être protectionniste quand il s'agit des intérêts nationaux.

Pouvez-vous être plus précis ?

Par exemple, nous manquons cruellement d'outils informatiques d'origine française ou européenne. Et notamment de solutions en matière d'extraction de données sémantiques ou vocales, d'outils de traduction automatique ou de moteurs de recherche spécifiques. Alors que maîtriser cette chaîne technologique est indispensable pour la sécurité et l'intégrité des transmissions dans le cadre du système d'information.

Que pouvez-vous faire ?

Le droit communautaire interdit, au nom des règles de la concurrence, que l'Etat réserve une partie de ses dépenses à des petites entreprises. Qui, le chiffre d'affaires ainsi garanti, pourraient gagner en solidité. Comme cela existe de longue date outre-Atlantique avec le Small Business Act, qui octroie systématiquement une part des marchés publics aux PME high-tech américaines. Pour remédier à cela, nous oeuvrons à la création de fonds d'investissement qui permettraient à des entreprises de financer des jeunes pousses détentrices de technologies innovantes. Ils devraient voir le jour en janvier prochain.

Là encore, l'Etat ne pourra pas participer au tour de table, sous peine de se voir accusé par l'Europe de procéder à des subventions déguisées. La récente décision de Thierry Dassault, président de Dassault Multimédia, de constituer avec Keynectis un pôle français dans le domaine de la certification électronique représente sûrement un exemple à suivre.

L'IE tient-elle selon vous une place suffisante dans l'enseignement aujourd'hui ?

Sûrement pas, même si la situation s'améliore. Pour éviter l'inflation des formations consacrées à l'IE, et de graves disparités dans la qualité des cursus proposés, nous allons publier un programme contenant les éléments indispensables qui devront être enseignés selon le diplôme visé : formations initiale et continue, du programme court aux troisièmes cycles les plus spécialisés. Il s'agit de faire le tri, et d'écarter les charlatans.

L'idée est que ce canevas de cours puisse entrer en vigueur à la rentrée 2005. De plus, les facultés, les écoles d'ingénieurs et de commerce seront fortement encouragées à intégrer l'IE comme une matière à part entière.

Cette rationalisation se poursuivra-t-elle jusque dans les métiers de l'IE ?

Nombre des entreprises qui nous contactent cherchent des prestataires fiables. Une fois convaincus de la nécessité d'entreprendre une démarche d'IE, elles sont un peu perdues. Et ne savent pas à quels professionnels s'adresser. C'est pourquoi nous planchons sur un projet de fédération. Cela moralisera la profession et garantira, autant que possible, que le cabinet membre de cette organisation réponde à des critères de professionalisme et de probité.

Quel doit-être le rôle des DSI en matière d'IE ?

Il ne peut y avoir de politique d'IE sans système d'information (SI) performant. Mais il ne faudrait pas cantonner l'IE à des contraintes de SI. Celui-ci n'est qu'un outil au service de la stratégie. Les DSI doivent saisir cette occasion pour donner encore plus d'ampleur à leur tâche. Et considérer toujours davantage leur mission comme transversale entre toutes les fonctions opérationnelles de l'entreprise.

C'est une opportunité pour les métiers de l'informatique : il faut la saisir ! Par exemple, il n'est pas sûr que les managers en charge du marketing aient totalement pris conscience de leur rôle à ce sujet. En ne réalisant pas que nous passons d'une économie de la demande à une économie de la connaissance.

Etes-vous favorable à la désignation d'un monsieur (ou madame) IE dans les entreprises ?

Pourquoi pas ? Même si cette activité ne doit pas être limitée à une personne ou à un service. Elle suppose l'adhésion de toute l'entreprise, et surtout des cadres dirigeants. Attention toutefois à ne pas en faire un poste fourre-tout, dénué de contenu. Par le passé ont été ainsi galvaudées des notions aussi respectables que la qualité ou le développement durable.

http://www.01net.com/article/267956.html

source : 01 DSI, Nicolas Arpagian, 06/03/2005

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